dimanche 15 juin 2014

Mon Père, qui êtes au ciel. My Father who art in Heaven.






C'était une journée parfaite
Quand Dire Straits berçait nos douces échappées en voiture,
Dans son atelier, ses pinceaux, ses couleurs, ses humeurs en peinture,
Quand le voir rentrer son sachet noir à la main était une fête,
C'était une journée parfaite

Quand à l'horizon ses boules de pétanque sans fin roulaient, 
Comme ses yeux plein de malice lorsqu'il souriait,
Quand le plus grand bonheur est de garder à jamais son regard en tête, 
C'était une journée parfaite

De ces images, jamais je ne me lasserai, 
Quand de l'odeur de ses cheveux mes mains restaient imbibées, 
Les yeux noyés de lumière se faisant mousser la barbe en se tenant la tête,
C'était une journée parfaite 


Au fond de son peignoir bleu, les couleurs grises de ses westerns me paraissaient moins ternes,
Comme ces instants où nageant dans ses bras les vagues devenaient douces et sereines, 
Il avait la nonchalance d'un penseur la cigarette au bec,
C'était une journée parfaite 


Il naviguait dans ses livres qui n'étaient pas pour lui que des mers de mots ou des courants de pensées, 
Quand  il sifflait ses airs préférés les yeux plissés en valsant sur un pied,
Résonnant dans ma tête comme le bruit de sa machine à cassette,
C'était une journée parfaite 

Il laissait ses chemises à fleurs danser avec le vent,
Quand près de nos rochers il allait à la pêche aux instants, 
Son existence passée devient parfois un absurde casse-tête, 
C'était une journée parfaite

Dans ses figues noires il voyait la vie en rose,
Quand sur des papiers éphémères il plantait de sa prose,
Ces souvenirs devenus comme des séquences muettes,
C'était une journée parfaite

Consumant amoureusement son temps comme un grand enfant,
Quand on pensait que sa fumée nous embrumerait éternellement,
Il n'avait pourtant pas une forme d'athlète,
C'était une journée parfaite

Il noyait ses doutes sans jamais remonter à la surface,
Quand dans sa collection de briquets et de montres il brûlait les heures en attendant que ce temps passe,
Son eau de Cologne n'était ni trop prétentieuse ni trop modeste,
C'était une journée parfaite 

Il secouait soigneusement ses pieds du sable, 
Quand sa vie ne demeure plus qu'un château de fables, 
Fou d'amour pour son adorable quartet, 
C'était une journée parfaite

Il entendit le train du bonheur siffler plus d'une fois,
Quand il restait assis sur le quai de l'autre voie,
Car il n'avait pas le sourire constant d'une marionnette, 

C'était une journée parfaite.

Asmaa El Arabi

vendredi 13 juin 2014

Match Nul...




Volets fermés, fenêtres placardées, voitures soigneusement rentrées dans les garages ou planquées dans des ruelles sinueuses, et discrètes, portes fermées, chérissant leurs serrures et gardant un oeil de boeuf bien ouvert sur leurs poignées : cela ne fait plus aucun doute, c’est jour de clash, de splash, de smash, enfin bref un classique jour de match.
En cet après-midi bien particulier Casablanca célèbre donc une fête unique…et c’est la sienne !
Plutôt celui d’un sanguinaire Saigneur que de l’Éternel Seigneur, ce jour d’exception aura vite fait de marquer les esprits de ses sons, ses sceaux et ses sursauts.
Il est six heures, Paris s’éveille, certes mon cher Jacques, mais Casa, elle, s’assoupit et ne semble que péniblement s’endormir dans les bras d’un Morphée sous morphine comme poursuivant l’envers de la naissance du papillon, se renfermant dans son précieux cocon.
Tout se passe ainsi comme si Casablanca s’astreignait en fait à une sieste obligatoire durant «le rouge et le vert» du Standby.
Ce jour où Casablanca se transforme en salle omnisports d’un genre de corrida footbalistique où vous risquez à tout moment d’être le vénéré foulard rouge du taureau ou le cher dindon de la farce.
Ces jours où la pelouse du stade rase les murs et où ses larges tribunes auraient voulu ne pas être aux premières loges.
Ce jour où Casablanca se mue en décor « grandeur raclure» d’un genre de western oriental où Clint Eastwood aurait déjà tracé à l’Ouest, poursuivi par des Daltons daltoniens obsédés par un rouge et un vert qu’ils ne voient que pas assez.
Oubliez donc le charaf du cherif, en ce jour où la kourat al 9adam ne sera visiblement pas l’affaire du m9adam et sachez donc que le nombre de tours de vos serrures n’aura d’égal que celui de buts marqués et d’occasions manquées.
Car ces insupportables insupporters  terrassant passants et trépassants, coupant les rues sens dessus-dessous, dans tous les sens, de l’interdit, à l’inverse, en passant par le propre et le figuré, n’auront de pitié que celle rimant avec Salpêtrière.
Rouant tout engin roulant de virulents coups francs et distribuant de généreux bâtons dans les roues de tout ce qui ne roulera désormais plus, ils défileront sur les boulevards comme une collection d’un créateur mal inspiré, embaumés des chants de ce jeu où il ne paraît y avoir que le ballon qui tourne véritablement rond.
Taclant les vitres des bus, taxant leurs chauffeurs, scrutant le moindre regard transversal, en désaccord ou en diagonale, leur heure de sortie sera celle de votre rentrée et vous vivrez aux rythmes des séismes sonores animants les cafés.
Et c’est l’irruption volcanique d’un magma verdâtre et grumeleux de supporters qui gronde car quelle que soit la couleur du carton qu’arborera l’arbitre, ils auront incontestablement dans la ville carte blanche.
À la vue apocalyptique de cette nuée insensée, encensée d’un fanatisme inversée, il semblerait véritablement que « balle qui roule amasse namouss» durant cette journée digne des plus belles sauvegardes d’un GTA version Joutiya.
Les feux tétanisés resteront donc bloqués à l’orange, et le jour de gloire sera enfin arrivé pour ces vaillants taxis rouges, les seuls à véritablement trancher dans cette drôle d’histoire.
Comme un orphelinat d’enfants sauvages débarquant au milieu de votre ville,vous tenterez de vous blottir en vain au fond du siège conducteur de votre voiture dont même l’embrayage se sera retiré telle une tortue rétractant sa tête et le frein à main aura désormais main mise sur vos manoeuvres.
Fuite d’huile pour les taxis rouges rencontrant quelques âmes enragées du raja ou pour ces feux verts croisant un petit groupe bien garni de têtes brûlées du wyDEAD, déboulant comme des boules de pétanques, dont vous seriez le malheureux cochonnet.
Gardez-vous donc de toute malencontreuse prise de position en ce jour conjointement traversé par le tropique du quiproquo et les cornes de son capricorne.
Depuis votre automobile,  agitant successivement un drapeau du Raja d’une main en veillant à minutieusement planquer celui du Wydad de l’autre, vous aurez alors l’impression d’être ce genre de poule refusant paradoxalement de se mouiller continuant d’afficher des sourires tellement apeurés par la véhémence de ces supporters qu’ils en deviendraient presque sincères.
Notre drapeau national semble lui-même incapable de trancher sur la question arborant discrètement cette étoile verte noyée dans une authentique mer de rouge.
Pour les plus inconscients défenseurs de la liberté de circuler, partisans de ces grandes et profondes phrases de citoyen engagés telles que « Malna Siba flblad», sortant impavides, en ces jours de lancer de pavés, nul besoin de s’armer de courage ou de patience, une généreuse dose de lâcheté et de démagogie appliquée en anesthésie locale sur ces supporters fera l’affaire.
A l’issue de ces matchs, 4 issues radicalement distinctes s’offrent alors gracieusement à vous : si Le Raja perd, il y aura de la casse. Une seconde possibilité se distingue également: Si le Raja gagne, il y aura, là par contre, de la casse. Autrement différente, s’il y a match nul, il y aura cette fois-ci de la casse. Enfin, si le match est annulé, il y aura bel et bien de la casse.
Aussi sûr donc que deux et deux font quatre, et que « un partout» fera très mal, les possibilités sont donc tout à fait diverses.
Comprenez donc que le seul véritable terrain, d’entente cette fois-ci, serait celui consistant à penser qu’à ce degré exceptionnel de nervosité et de tension, quelques soient leurs confessions, convictions et autres traumatismes sportifs, tous ne verront plus que rouge.
À la fin de cette courte journée de vie, ils auront alors bien réussi à élargir la surface de réparation et c’est d’un bon coup de ciseau, que vous aimeriez alors entendre ce «  coupez ! on ne la refait jamais.»
Asmaa El Arabi 

mercredi 11 juin 2014

En Immersion dans les rues de Casablanca...

Via Google

Ce n’est qu’après de longues années de regards passifs et familiers sur les rues de notre pays que l’on finit enfin par y déceler ces trésors de scènes presque anachroniques dont elles débordent.

Tout d’abord, le balayeur de rues, celui qui manie poétiquement de grandes et élégantes feuilles de palmiers et qui soulève sur son passage des nuées de poussières et de souvenirs. Notre passage rapide en voiture nous offre tout de même le temps de poser un regard illuminé sur cette scène de parade amoureuse digne des plus grands films indiens ou autres ballets classiques.

L’autre acteur principal de la pièce, dont les apparitions sont, pour sa part, plus courtes et plus rares, n’a rien à envier dans sa singularité à notre valseur-balayeur. Il s’agit de celui que l’on appelle communément le commis de « Moul lpisseri» ou Bras de droit de Lahcen, celui qui livre toutes sortes de choses à travers la ville avec le même entrain et la même allure vagabonde et décomplexée. Sa livraison phare est cette ronde et lourde chose bleue nommée «Bouta» ou « Boutagaz» pour les puristes linguistes de la darija marocaine. Cet être particulier qui semble avoir un passe au-dessus des lois routières, et qui traverse sans prévenir rues et boulevards, s’affaire à pousser vaillamment son petit chariot, pour livrer sa belle, sa bien-aimée, sa bouta, dont il se soucie comme d’une mariée dont on va donner la main.

Mais celui qui cristallise sans aucun doute toute la beauté de l’absurde marocain, celui dont la présence se démultiplie à l’infini à travers toute la ville, celui qu’on ne présente plus et qui se présente à vous en accostant sans transition les fenêtres de vos automobiles est le fameux gardien de voitures.

Partout où vous irez il sera, dans les ruelles les plus profondes de Casablanca, dans les impasses, les culs-de-sac, les rues cachées, celles abandonnées, à demi-construites, et ne faites pas même confiance aux routes pistées car là où un bout de trottoir il y aura, notre cher dresseur de roues sera. N’essayez donc jamais de semer sa présence, car cet être venu d’ailleurs, de cette Gardiane Planet qui remplace désormais Pluton, est capable des plus beaux sprints derrière votre voiture en cas d’oubli, disons involontaire, de sa rétribution. Vous ne verrez de lui depuis votre rétroviseur que la magnifique blouse bleue dansant avec le vent et la vitesse.

Ce surhomme a su repeindre tous les trottoirs jaunes en blancs par la seule force de la pensée et de la supputation pour l’amour du stationnement, et a rendu presque irrationnelle l’utilisation du parcmètre.

Il est celui qui a décidé de garder toute la monnaie gagnée dans une seule poche musicale qu’il raffole de faire tinter et celui dont le remix s’appelle « Braqui, Braqui, Braqui, safi hbess».

Il est le coach du créneau, celui qui refera naître en vous l’envie de garer votre voiture et qui redonnera de l’entrain à vos marches arrière.

Autre mais tout aussi fascinant, le 3essass ou la mère juive du quartier, celui qu’on soupçonne d’avoir un immense tableau des heures d’entrée et de sortie des gens du coin, un trombinoscope des invités selon la fréquence de visite et peut être même un book des immatriculations des voitures restées sans identité, car le 3essass a une sainte horreur de ne pas savoir. Gardien de vos maisons et de votre moralité, il est cette mère poule et étouffante dont nous avons tous rêvé.

Puis arrive le semssar, celui qui sait simultanément quand est ce que votre titre foncier sortira à la commune et combien coûterait une femme de ménage pour le mois en basse saison. Il est celui qui ne se charge que des informations collatérales, sans cohérence aucune, spécialisé dans les débris informationnels et dans toutes les infos qui servent du rayon « infos qui ne servent à rien».

Last but not least, Mr Bi3, notre Mr Bean local, vocaliste et castafiore, il criera d’un son presque électronique tout ce que vos oreilles désireront entendre en plus des classiques «Jabil» et « wa lbayd».

Comme les personnages d’un théâtre à ciel ouvert en perpétuelle représentation dont on a arbitrairement distribué les rôles à travers la ville, les êtres que l’on vous présente ici sont bel et bien tirés de faits réels.

mardi 3 juin 2014

À Casablanca, le vol prend son envol !

Via Google

Nous assistons depuis de nombreuses semaines à une fascinante diversification des techniques et autres stratégies de vol urbain et les légendes gravitant autour de ce phénomène sont désormais contées avec une nonchalance absolument inédite.
Et il n’y a pas que “mi lhaja” sur l’image qui en soit mécontente !
Après le Guide du Routard, nous tenterons donc ici de mettre en lumière les grandes lignes du Guide du Cheffar.
Parmi les grandes figures de ce Scarface version Tkerfiss, il y a tout d’abord les fervents défenseurs de la méthode que l’on surnomme dans le milieu le système «Prince of Persia». Celle où les voleurs, armés d’authentiques sabres, s’essayent au braquage de petits commerçants en tentant de rétablir une noble injustice.
Seul bémol statutaire, les 3issabas, genre de BoysBand de malfaiteurs veillant à bien faire triompher le mal à travers maisonnées et supermarchés, exploitent déjà avec brio ce style connoté « Mille et une nuits » de Brigand-Old-School-Oriento-Underground.
Mais enfin, que serait la création sans inspiration !
Bref, s’étant jurés déloyauté et malhonnêteté, comme ces maffiosi embrassant tendrement une icône de la Madone après un règlement de compte, cette nouvelle génération de Ali Zawa et les 40 voleurs, n’hésiteront pas à laisser une trace sur vos visages en guise d’originale carte visite, lorsque leur rétribution ne sera pas à la hauteur de leurs ambitions.
Comme le Z que dessinait l’illustre Zorro pour signer sa victoire, il s’agira pour ces Zéros de ce que l’on appelle dans le jargon «logo de Nike», du verbe «3an Naykik» en phonétique arabo-darijique.
Vous ne retrouverez donc ni le charme ni même la galanterie d’Aladin dans ce style pour le moins anachronique et moyenâgeux.
S’ensuit alors la méthode « Duos de Choc » ou encore l’équation « Grissi touma Kssiri» qui consiste simplement en la formation d’un couple de motocyclistes, enivrés d’une formidable amitié et d’une parfaite complémentarité, l’un conduisant, l’autre attaquant, les deux repérant.
Surpassant les mythiques Laurel et Hardy, Tic et Tac, Marteau-Ciseaux, ou encore Stati et son sixième doigt, c’est main dans la main, le coeur sur la main, qu’ils vous demanderont de vider vos poches dans vos mains et vous arracheront vos sacs à main.
Tels des danseurs étoiles s’enfuyant au ralenti, en gracieux pas chassés, ils auront alors bien allégé votre poids de la journée.
Une question continuera cependant à gaiement gambader dans votre esprit dubitatif : Y a t-il de grands centres spécialisés où ces duos s’entraînent, améliorant leur descente, peaufinant l’enfourchement de leur 103 ou le jet de leur long et agile bras tel une ancre lancée à l’abordage d’une victime ?

Ce qui me paraît fascinant avec ces voleurs d’une race apparemment nouvelle, c’est qu’ils ne répondent en fait à aucune loi de la statistique classique comme ce genre de formidables artistes autodidactes ou… d’effrayantes bactéries mutantes.
L’on dit en effet souvent que l’occasion fait le larron mais il semble que ces cheffaras de haut vol soient capables de faire et l’occasion et le larron, avec une dextérité que j’aurais volontiers applaudie si la peur n’avait pas ôté toute trace de fraternité à mes deux mains, désormais loin d’être khouwatat.
Et puisque ces rencontres “désenrichissantes” surprennent désormais toute classe sociale, en tout lieu et à toute heure, pourquoi pas donner plus de structure à ce phénomène et créer, tant que nous y sommes, un genre de SAV inédit, un véritable : « Service Après Vol».
Un bureau où les victimes pourraient récupérer tous les objets volés qui ne se révèlent être en fait d’aucune utilité aux voleurs : un paquet de Flash « J’aime, je partage», une tétine usagée, un porte-clé sponsorisé WafaBank, un jeu de Ronda sans Rey,  un Tango mfertet, des cartes d’identité aux photos ratées, 200g de «Zebda tla3bar», deux dirhams de hamouss bared, ou encore un livre de cuisine dédicacé par Choumicha herchelf.
À mon compteur, trois types d’agressions, ce qui me situe donc à un niveau honorable sur l’échelle des agressés.
La première fois, marchant sur la route du Lycée, que je connaissais comme mes poches, encore pleines à cette heure-là, les cheveux valsant avec une agréable brise matinale et la démarche dansante, je vois arriver en sens inverse deux individus dans le style « Sat un jour, Sat toujours», aux allures plutôt amicales et détendues. Jusqu’à ce que nos pas se croisent, que les miens zigzaguent et que je sois prise en bocadillos entre ces deux personnes.
Chacun tirant de son côté mon pauvre sac comme un enfant déchiré par un divorce;
Coup final de cette brève partie de Street Fighter, mon agresseur finit par lâcher, je tombe donc sous le poids de mon sac. Sur la chaussée, des voitures passent, et je suis presque agacée que les voleurs soient partis, tant mon allure d’alcoolique anonyme au milieu de la route, me noie d’une abondante liqueur de ridicule.
Et la vie, du moins agrémentée d’un léger déclassement social, reprend son cours d’un naturel absurde et déconcertant.
Mais qu’est ce donc au juste que ces rencontres du troisième type ? Des épreuves d’immunité reprises de certaines saisons de Koh-Lanta, des rites d’acceptation où l’on affronterait «Double M», Mister M9ta3, comme épreuve finale ?
Enfin, n’oublions tout de même pas que si les petits voleurs sont pendus, les grands sont, eux, salués, comme l’a souvent répété ce très cher écrivain, Wilhelm Wander, que j’avoue ne connaître ni de vue, ni de nom, ni d’Adam, ni d’Eve.
Mieux vaut donc en rire, mais enfin pas trop, car comme le dit encore un dicton que je me suis auto-dictée, quand vous souriez à un brigand, n’oubliez pas de rigoureusement compter vos dents.
En bonus un prototype de Question-Test : Quel type d’agressé êtes-vous ?
Vous êtes arrêté au pied d’un feu rouge, à un de ces feux dont la flamme ne s’éteint qu’après vous avoir consumé. Il fait une chaleur de hammam beldi dans votre voiture et vous souffrez d’une puissante allergie à la climatisation :

1- Demeurant à l’intersection entre la rue des Bisounours et le boulevard des Teletubbies, vous ouvrez donc gaiement et naturellement votre fenêtre jusqu’au bout, en toute confiance et inconscience.
2- Sensible au bruit des 103, vous usez de la méthode « Dreb ou 9yess», qui consiste en la distribution continuelle de regards inquisiteurs à vos trois rétroviseurs : votre fenêtre d’oxygène s’ouvre donc et se referme selon que la voie soit libre ou non.
3- Pour vous, suer élimine les toxines et vous inviterez gentiment celui qui réfutera votre affirmation à attendre un taxi sur le bas-côté.
D, La réponse D- Qui a parlé de voiture ? Vous êtes enfermé(e) chez vous à quadruple tour et votre seule compagnie est le miaulement du chat du voisin qui passe se moquer de temps à autre à votre fenêtre. 

Asmaa El Arabi 

Article publié dans :
L'omnibus Hebdo 
La Nouvelle Tribune

lundi 2 juin 2014

Poste-Mortem


Tout a commencé par cet appel anodin d’un très cher ami me criant gaiement à travers le combiné qu’il aurait reçu à son domicile une lettre ce lundi 9 septembre 2013 datant du 28 septembre 1989. Cette lettre glissée 24 ans plus tard par la main nonchalante et insouciante d’un postier, arborait encore un timbre en francs et des traces jaunissantes, témoins de sa traversée des âges.
Comme face à un secret d’Histoire, je me retrouve donc à cet instant précis dans l’antichambre entre fascination et absurdité. Bien décidée à percer le mystère de cette affaire, c’est là le début de mon enquête doublée d’une aventure à la Poste de Casablanca.

Si vous vous souvenez de la poste comme étant cette institution fort efficace capable de faire voyager pensées, courriers, colis à travers le monde par les ailes d’un simple timbre :  au Maroc, vous vous voilez burqament la face.
Envoyer un courrier par une des nombreuses postes de Casablanca, car quantité n’a jamais promis qualité, peut très vite, et c’est la seule chose qui puisse aller vite dans ces cas là, se transformer en une course poursuite du Saint Graal postal à travers toute la ville.
Il vous paraîtra ainsi fort probable, au premier abord, que la poste au Maroc soit un genre de fusion entre PMU et Services postaux : vous êtes sûr d’envoyer votre courrier, libre à vous de parier maintenant sur sa bonne réception ou sa réception tout court.
De désillusions postales en désillusions, on se rend finalement compte que le recommandé n’est peut être pas si recommandable, que l’accusé de réception sera toujours déclaré coupable, et que l’envoi express est inspiré des fables de la Fontaine où entre le lièvre et la tortue, c’est le reptile qui finit toujours par gagner.
En rentrant à la première poste, trois principaux détails attirent, toujours au sens figuré entendons bien, votre regard inquisiteur, comme dans ces jeux de Télé7jours où vous devez entourer tous les anachronismes de la pièce.
La première, Moul Securiti, un genre de videur de boîte de nuits posté, sans mauvais jeu de mots, à la porte d’entrée, et qui, ayant probablement dû faire rentrer plus de thons que de barracudas une nuit maudite où sa bonne étoile était en RTT,  fut donc rétrogradé, sans transition, à la poste.
L’Homme qui pose sur vous ce regard discret mais efficace de scanner dernière génération semble avoir garder quelques séquelles des automatismes de sa vie passée.
Et c’est ce même Charlot, camouflé dans cette poste comme dans un « Où est Charlie», qui vous délivre le ticket portant votre numéro de passage. Vous vous dites alors, naïvement, que vous pourriez vous-même appuyer sur ce bouton qui fait gracieusement glisser ce précieux bout de papier, mais en observant le geste parfait de notre bodygard, tout s’illumine enfin : c’est qu’il sait presser comme personne lui.
À partir de ces modestes observations, trois absurdités remontent alors à la surface de votre esprit noyé dans une mer d’incompréhension que densifient des vagues de questionnements.
Tout d’abord, pourquoi embaucher un homme chargé de la sécurité d’une poste. Y aurait-il un philatéliste, timbré, qui rôderait dans le coin, son livre de collectionneur à la main, et léchant un timbre pour l’y coller de l’autre ? Ou peut-être un adulte particulièrement rancunier qui aurait mal avalé durant son enfance cette histoire du « Facteur n’est pas passé, il ne passera jamais», vécue comme une vicieuse injustice ?
Puis s’ensuit le second mystère qui pointe le bout de son nez en traînant derrière lui un lourd point d’interrogation.
En établissant ce dur et lourd postulat que cet homme de la sécurité ou de sa sécurité, en tout cas pas de la mienne, aurait postulé à la poste par pure nécessité postale, et après avoir fini de prononcer difficilement toutes ces lettres «p»,  une question continue encore à vous tarauder la conscience : pourquoi prendre un homme aussi maigrichon et aussi facile à craquer qu’un savoureux cornichon ?
S’amorce alors une série de questions inexistentielles sur ces choses qui vous imposent nonchalamment leur existence.
Des gens à qui les numéros ne plaisent pas, un 77 trop redondant, un 13 maudit, un 124 trop banal, un 367 affreusement ennuyeux, un 007 totalement hors contexte et qui laissent donc ces tickets joncher le sol dans une marre d’autre numéros aux abonnés absents.
Quel que soit le numéro qu’on vous délivrera à l’entrée, sachez donc qu’il ne sera qu’un numéro d’emprunt, une couverture, un alias, un clin d’oeil du «Big Barid is watching you» qui vous susurre à l’oreille « Vous Lalla, là bas, petit être frêle et naïf, vous pensez que vous êtes le numéro 245 hein, vous en êtes convaincue yak, ewa belati nchoufou qui de nous deux a raison ».
Enfin, troisième et dernier pilier du kit de survie en milieu hostile et postal : venez avec votre enveloppe. Car faites vous vite à cette fatalité, la poste au Maroc ne vend pas d’enveloppes. Vendre des enveloppes dans une poste ? Quelle idée farfelue ! Et puis quoi encore ? Pourquoi pas des timbres tant que vous y êtes…Enfin, franchement…

Après avoir fait le tour du parc postal casablancais, à la recherche, littérale, de tout ce temps perdu, et après avoir franchi la porte de la dernière étape de notre Pékin Express Postal, on ne peut plus tout à fait qualifier notre pas de confiant et déterminé.
Tant d’idéaux se sont alors déjà effondrés dans nos esprits durant cette balade où il serait plus simple de savoir ce qui fonctionne que ce qui ne fonctionne pas.

Qui sait ce qu’on nous y dira, j’ai cet angoissant pressentiment qu’un des employés me proposera un pigeon voyageur comme offre de la dernière chance pour envoyer mon courrier dont les mots ont fini par dégouliner sur ce papier  bristol devenu papier mâché et j’imaginais déjà sa réplique « Pigeon, oulahita mkhayr a khti, number one, numiro wahed».

Avouons tout de même que ce service postal si faillible et si burlesque renferme quelque chose d’humain et d’imparfait qui force en vous le rire et qui dessine sur votre visage un sourire effaçant toute trace de crispation ou de fekssa intériorisée.

Asmaa El Arabi 


Article publié dans :
Slate Afrique
La Nouvelle Tribune


dimanche 1 juin 2014

Circulez, il y a tout à revoir !


Oubliez les infarctus, laissez tomber les blocages coronariens et autres déboires de la circulation sanguine, celle de Casablanca se chargera de faire chavirer votre cœur comme jamais il n’a tangué.
Dans la ville blanche et immaculée, les embouteillages pousseront toujours le bouchon un peu trop loin et les conducteurs, ne conduisant rien de plus que cette électricité qui s’installe dans l’air, ne cesseront de dangereusement se noyer dans l’eau de leur verre.
Vous vous direz donc probablement que ce n’était pas un simple permis de conduire qu’il aurait fallu y imposer mais un véritable brevet de secouriste.
Car à Casa, il n’y a pas que de banales heures de pointe, la journée y devient carrément une succession de pointillés.
Entre l’horaire continu, la circulation décousue, la rentrée des classes et les sorties d’écoles, les conducteurs se muent en fait en cette étrange mais exceptionnelle variété d’auto-immobilistes, une espèce protégée de conducteurs roulant au pas, ou même pas.
À ces heures-ci, vous verrez les voitures se tenir chaud le long du boulevard Zerktouni et les autos en guerre mettre à terre la paix du boulevard Ghandi. D’amont en aval, les feux rouges vous inspireront des idées noires sur Stendhal et une peur bleue des passages par Anoual.
Dans cette ville où la roue, surtout celle de votre voiture, ne tourne jamais, «le transporteur» y aurait lui-même été transplanté et la circulation vous paraîtra être un plateau de tournage grandeur nature d’un des derniers «Fast and Mfe9ess».
Les piétons vous enjambent, les mendiants vous embrassent et la pollution vous embaume, entourés de ces automobilistes dont les idées se bousculent beaucoup moins que toutes ces voitures.
Heureux naïfs, chers ingénus, sachez donc que vous pourriez vous confectionner une tekchita ou un 3 pièces de permis internationaux, extraterrestres ou intramuros que vous ne sauriez toujours pas tenir les rênes de votre char à Casablanca.
Car dans cette mer de voitures affichant toujours drapeau noir, et de conducteurs montrant faussement patte blanche, le permis est littéralement une permission de faire et refaire, comme ce n’est pas permis, tout ce qui a été formellement interdit.
À la seconde même où vous fermez la portière, posez un pied sur l’embrayage avant de mettre le contact, la musique de Mario Kart s’enclenche alors, et c’est le début de la grande aventure !
À votre droite votre testament, vos dernières volontés, à votre gauche votre fidèle ceinture de sécurité, et vous voici paré à affronter les tumultes de cette virée.
Au cours de cette plongée sous-marine, vous rencontrerez des espèces en véritable prolifération, bien loin des actuelles menaces d’extinction.
Parmi elles, les Requins Taxis ou Taxis Blancs, ces conducteurs latérophiles, pris de pulsions incontrôlées de régulièrement s’arrêter sur le côté, sans transition, sans gêne, mais surtout sans signal.
Sans parler des Rahabus…Raha, quelle merveilleuse idée de nom n’est-ce pas ? Une appellation en cohérence parfaite avec ce bruit de guerre civile sur fond de fusillades à la kalachnikov que ces autobus sont capables de générer sur leur passage.
Les piétons seront, pour leur part, cette barrière de corail tenace, qui apparemment gênée par la vulgaire connotation des trottoirs, campe véritablement sur les routes, mais jamais au grand jamais sur les passages cloutés.
Dessinez une marelle ou un jeu de dames géant à la place, vous n’y verrez que du feu, enfin à part celui vous informant que ce n’est pas à votre tour de passer.
Trop de morts sur les routes, certains décident de rouler sur les trottoirs !
Des motos empruntant fièrement les tunnels aux voitures doublant par la droite et ralentissant à gauche, en passant par ces charrettes ne circulant qu’à contre sens, pensant pouvoir remonter le temps :  tout se passe ainsi comme si vos rétroviseurs obsolètes n’étaient plus qu’un conglomérat d’angles morts, risquant à tout moment de précipiter la vôtre.
Comme victime des traumatismes d’un genre de polygamie automobile, le conducteur casablancais a également une sainte horreur de ne s’engager que sur une seule voie, tantôt de droite, puis de gauche, il adoptera le plus souvent, comme le veut la tradition, cette voie sacrée du milieu, à votre plus grand bonheur.
À la fin d’une journée de conduite, Mario Bros, devenu Mario Skhef, aura alors rendu sa casquette de chauffeur, rejoignant Luigi, qui ayant pris ses pizzas à son cou, sera déjà sur la route du Hrig définitif from «Bestela to Barilla».
Au pied de ces feux rouges et de la grande 3roussa, l’apparition de ce feu vert attendu comme le Messie, Messi, ou un Missi Dominici, vous choisirez finalement de vivre ces klaxons comme des encouragements adressés au feu, rouge de hechma, qui finira par fleurir de sa verdure.
Ainsi, si le placement des voitures arrivant au niveau d’un feu rouge était un jeu de Tetris, nous aurions sans aucun doute eu le temps de voir s’afficher Game Over Forever une quinzaine de fois, tant l’optimisation de l’espace aux pieds des feux devient un étrange art abstrait, un capharnaüm  de lendemain de soirée, ou une authentique chorégraphie de Kamel qui aurait fait sauter le Wali.
Mais que seraient les feux rouges sans ces formidables auto-créateurs de suspens qui s’arrêtant un mètre après le feu et, ne disposant d’aucune solide formation de chouwafa, se retrouvent incapables de deviner son passage au vert, et qui ne démarreront donc que sous les acclamations du commun des mortels resté derrière.
Parmi les autres perles de la circulation casablancaise, l’illuste 9if imaginaire, véritable chouchous des policiers dans la liste des infractions farfelues, ou encore la main invisible d’Adam Smix, celle que l’on sort à tout va, cette main du pardon signifiant conjointement «semhi liya ndouz», «malna yak labass» ou encore « malha tri9 bak» et qui s’agite depuis la fenêtre de la miséricorde.
Si ce code Rousseau qui sent le roussi ne nous réussit donc pas, proposons peut-être un anti-code de la route en tentant d’inverser la vapeur du bared comme certains le font déjà à merveille.

Asmaa El Arabi 


Article publié dans :
La Nouvelle Tribune