mardi 3 juin 2014

À Casablanca, le vol prend son envol !

Via Google

Nous assistons depuis de nombreuses semaines à une fascinante diversification des techniques et autres stratégies de vol urbain et les légendes gravitant autour de ce phénomène sont désormais contées avec une nonchalance absolument inédite.
Et il n’y a pas que “mi lhaja” sur l’image qui en soit mécontente !
Après le Guide du Routard, nous tenterons donc ici de mettre en lumière les grandes lignes du Guide du Cheffar.
Parmi les grandes figures de ce Scarface version Tkerfiss, il y a tout d’abord les fervents défenseurs de la méthode que l’on surnomme dans le milieu le système «Prince of Persia». Celle où les voleurs, armés d’authentiques sabres, s’essayent au braquage de petits commerçants en tentant de rétablir une noble injustice.
Seul bémol statutaire, les 3issabas, genre de BoysBand de malfaiteurs veillant à bien faire triompher le mal à travers maisonnées et supermarchés, exploitent déjà avec brio ce style connoté « Mille et une nuits » de Brigand-Old-School-Oriento-Underground.
Mais enfin, que serait la création sans inspiration !
Bref, s’étant jurés déloyauté et malhonnêteté, comme ces maffiosi embrassant tendrement une icône de la Madone après un règlement de compte, cette nouvelle génération de Ali Zawa et les 40 voleurs, n’hésiteront pas à laisser une trace sur vos visages en guise d’originale carte visite, lorsque leur rétribution ne sera pas à la hauteur de leurs ambitions.
Comme le Z que dessinait l’illustre Zorro pour signer sa victoire, il s’agira pour ces Zéros de ce que l’on appelle dans le jargon «logo de Nike», du verbe «3an Naykik» en phonétique arabo-darijique.
Vous ne retrouverez donc ni le charme ni même la galanterie d’Aladin dans ce style pour le moins anachronique et moyenâgeux.
S’ensuit alors la méthode « Duos de Choc » ou encore l’équation « Grissi touma Kssiri» qui consiste simplement en la formation d’un couple de motocyclistes, enivrés d’une formidable amitié et d’une parfaite complémentarité, l’un conduisant, l’autre attaquant, les deux repérant.
Surpassant les mythiques Laurel et Hardy, Tic et Tac, Marteau-Ciseaux, ou encore Stati et son sixième doigt, c’est main dans la main, le coeur sur la main, qu’ils vous demanderont de vider vos poches dans vos mains et vous arracheront vos sacs à main.
Tels des danseurs étoiles s’enfuyant au ralenti, en gracieux pas chassés, ils auront alors bien allégé votre poids de la journée.
Une question continuera cependant à gaiement gambader dans votre esprit dubitatif : Y a t-il de grands centres spécialisés où ces duos s’entraînent, améliorant leur descente, peaufinant l’enfourchement de leur 103 ou le jet de leur long et agile bras tel une ancre lancée à l’abordage d’une victime ?

Ce qui me paraît fascinant avec ces voleurs d’une race apparemment nouvelle, c’est qu’ils ne répondent en fait à aucune loi de la statistique classique comme ce genre de formidables artistes autodidactes ou… d’effrayantes bactéries mutantes.
L’on dit en effet souvent que l’occasion fait le larron mais il semble que ces cheffaras de haut vol soient capables de faire et l’occasion et le larron, avec une dextérité que j’aurais volontiers applaudie si la peur n’avait pas ôté toute trace de fraternité à mes deux mains, désormais loin d’être khouwatat.
Et puisque ces rencontres “désenrichissantes” surprennent désormais toute classe sociale, en tout lieu et à toute heure, pourquoi pas donner plus de structure à ce phénomène et créer, tant que nous y sommes, un genre de SAV inédit, un véritable : « Service Après Vol».
Un bureau où les victimes pourraient récupérer tous les objets volés qui ne se révèlent être en fait d’aucune utilité aux voleurs : un paquet de Flash « J’aime, je partage», une tétine usagée, un porte-clé sponsorisé WafaBank, un jeu de Ronda sans Rey,  un Tango mfertet, des cartes d’identité aux photos ratées, 200g de «Zebda tla3bar», deux dirhams de hamouss bared, ou encore un livre de cuisine dédicacé par Choumicha herchelf.
À mon compteur, trois types d’agressions, ce qui me situe donc à un niveau honorable sur l’échelle des agressés.
La première fois, marchant sur la route du Lycée, que je connaissais comme mes poches, encore pleines à cette heure-là, les cheveux valsant avec une agréable brise matinale et la démarche dansante, je vois arriver en sens inverse deux individus dans le style « Sat un jour, Sat toujours», aux allures plutôt amicales et détendues. Jusqu’à ce que nos pas se croisent, que les miens zigzaguent et que je sois prise en bocadillos entre ces deux personnes.
Chacun tirant de son côté mon pauvre sac comme un enfant déchiré par un divorce;
Coup final de cette brève partie de Street Fighter, mon agresseur finit par lâcher, je tombe donc sous le poids de mon sac. Sur la chaussée, des voitures passent, et je suis presque agacée que les voleurs soient partis, tant mon allure d’alcoolique anonyme au milieu de la route, me noie d’une abondante liqueur de ridicule.
Et la vie, du moins agrémentée d’un léger déclassement social, reprend son cours d’un naturel absurde et déconcertant.
Mais qu’est ce donc au juste que ces rencontres du troisième type ? Des épreuves d’immunité reprises de certaines saisons de Koh-Lanta, des rites d’acceptation où l’on affronterait «Double M», Mister M9ta3, comme épreuve finale ?
Enfin, n’oublions tout de même pas que si les petits voleurs sont pendus, les grands sont, eux, salués, comme l’a souvent répété ce très cher écrivain, Wilhelm Wander, que j’avoue ne connaître ni de vue, ni de nom, ni d’Adam, ni d’Eve.
Mieux vaut donc en rire, mais enfin pas trop, car comme le dit encore un dicton que je me suis auto-dictée, quand vous souriez à un brigand, n’oubliez pas de rigoureusement compter vos dents.
En bonus un prototype de Question-Test : Quel type d’agressé êtes-vous ?
Vous êtes arrêté au pied d’un feu rouge, à un de ces feux dont la flamme ne s’éteint qu’après vous avoir consumé. Il fait une chaleur de hammam beldi dans votre voiture et vous souffrez d’une puissante allergie à la climatisation :

1- Demeurant à l’intersection entre la rue des Bisounours et le boulevard des Teletubbies, vous ouvrez donc gaiement et naturellement votre fenêtre jusqu’au bout, en toute confiance et inconscience.
2- Sensible au bruit des 103, vous usez de la méthode « Dreb ou 9yess», qui consiste en la distribution continuelle de regards inquisiteurs à vos trois rétroviseurs : votre fenêtre d’oxygène s’ouvre donc et se referme selon que la voie soit libre ou non.
3- Pour vous, suer élimine les toxines et vous inviterez gentiment celui qui réfutera votre affirmation à attendre un taxi sur le bas-côté.
D, La réponse D- Qui a parlé de voiture ? Vous êtes enfermé(e) chez vous à quadruple tour et votre seule compagnie est le miaulement du chat du voisin qui passe se moquer de temps à autre à votre fenêtre. 

Asmaa El Arabi 

Article publié dans :
L'omnibus Hebdo 
La Nouvelle Tribune

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