dimanche 1 juin 2014

Circulez, il y a tout à revoir !


Oubliez les infarctus, laissez tomber les blocages coronariens et autres déboires de la circulation sanguine, celle de Casablanca se chargera de faire chavirer votre cœur comme jamais il n’a tangué.
Dans la ville blanche et immaculée, les embouteillages pousseront toujours le bouchon un peu trop loin et les conducteurs, ne conduisant rien de plus que cette électricité qui s’installe dans l’air, ne cesseront de dangereusement se noyer dans l’eau de leur verre.
Vous vous direz donc probablement que ce n’était pas un simple permis de conduire qu’il aurait fallu y imposer mais un véritable brevet de secouriste.
Car à Casa, il n’y a pas que de banales heures de pointe, la journée y devient carrément une succession de pointillés.
Entre l’horaire continu, la circulation décousue, la rentrée des classes et les sorties d’écoles, les conducteurs se muent en fait en cette étrange mais exceptionnelle variété d’auto-immobilistes, une espèce protégée de conducteurs roulant au pas, ou même pas.
À ces heures-ci, vous verrez les voitures se tenir chaud le long du boulevard Zerktouni et les autos en guerre mettre à terre la paix du boulevard Ghandi. D’amont en aval, les feux rouges vous inspireront des idées noires sur Stendhal et une peur bleue des passages par Anoual.
Dans cette ville où la roue, surtout celle de votre voiture, ne tourne jamais, «le transporteur» y aurait lui-même été transplanté et la circulation vous paraîtra être un plateau de tournage grandeur nature d’un des derniers «Fast and Mfe9ess».
Les piétons vous enjambent, les mendiants vous embrassent et la pollution vous embaume, entourés de ces automobilistes dont les idées se bousculent beaucoup moins que toutes ces voitures.
Heureux naïfs, chers ingénus, sachez donc que vous pourriez vous confectionner une tekchita ou un 3 pièces de permis internationaux, extraterrestres ou intramuros que vous ne sauriez toujours pas tenir les rênes de votre char à Casablanca.
Car dans cette mer de voitures affichant toujours drapeau noir, et de conducteurs montrant faussement patte blanche, le permis est littéralement une permission de faire et refaire, comme ce n’est pas permis, tout ce qui a été formellement interdit.
À la seconde même où vous fermez la portière, posez un pied sur l’embrayage avant de mettre le contact, la musique de Mario Kart s’enclenche alors, et c’est le début de la grande aventure !
À votre droite votre testament, vos dernières volontés, à votre gauche votre fidèle ceinture de sécurité, et vous voici paré à affronter les tumultes de cette virée.
Au cours de cette plongée sous-marine, vous rencontrerez des espèces en véritable prolifération, bien loin des actuelles menaces d’extinction.
Parmi elles, les Requins Taxis ou Taxis Blancs, ces conducteurs latérophiles, pris de pulsions incontrôlées de régulièrement s’arrêter sur le côté, sans transition, sans gêne, mais surtout sans signal.
Sans parler des Rahabus…Raha, quelle merveilleuse idée de nom n’est-ce pas ? Une appellation en cohérence parfaite avec ce bruit de guerre civile sur fond de fusillades à la kalachnikov que ces autobus sont capables de générer sur leur passage.
Les piétons seront, pour leur part, cette barrière de corail tenace, qui apparemment gênée par la vulgaire connotation des trottoirs, campe véritablement sur les routes, mais jamais au grand jamais sur les passages cloutés.
Dessinez une marelle ou un jeu de dames géant à la place, vous n’y verrez que du feu, enfin à part celui vous informant que ce n’est pas à votre tour de passer.
Trop de morts sur les routes, certains décident de rouler sur les trottoirs !
Des motos empruntant fièrement les tunnels aux voitures doublant par la droite et ralentissant à gauche, en passant par ces charrettes ne circulant qu’à contre sens, pensant pouvoir remonter le temps :  tout se passe ainsi comme si vos rétroviseurs obsolètes n’étaient plus qu’un conglomérat d’angles morts, risquant à tout moment de précipiter la vôtre.
Comme victime des traumatismes d’un genre de polygamie automobile, le conducteur casablancais a également une sainte horreur de ne s’engager que sur une seule voie, tantôt de droite, puis de gauche, il adoptera le plus souvent, comme le veut la tradition, cette voie sacrée du milieu, à votre plus grand bonheur.
À la fin d’une journée de conduite, Mario Bros, devenu Mario Skhef, aura alors rendu sa casquette de chauffeur, rejoignant Luigi, qui ayant pris ses pizzas à son cou, sera déjà sur la route du Hrig définitif from «Bestela to Barilla».
Au pied de ces feux rouges et de la grande 3roussa, l’apparition de ce feu vert attendu comme le Messie, Messi, ou un Missi Dominici, vous choisirez finalement de vivre ces klaxons comme des encouragements adressés au feu, rouge de hechma, qui finira par fleurir de sa verdure.
Ainsi, si le placement des voitures arrivant au niveau d’un feu rouge était un jeu de Tetris, nous aurions sans aucun doute eu le temps de voir s’afficher Game Over Forever une quinzaine de fois, tant l’optimisation de l’espace aux pieds des feux devient un étrange art abstrait, un capharnaüm  de lendemain de soirée, ou une authentique chorégraphie de Kamel qui aurait fait sauter le Wali.
Mais que seraient les feux rouges sans ces formidables auto-créateurs de suspens qui s’arrêtant un mètre après le feu et, ne disposant d’aucune solide formation de chouwafa, se retrouvent incapables de deviner son passage au vert, et qui ne démarreront donc que sous les acclamations du commun des mortels resté derrière.
Parmi les autres perles de la circulation casablancaise, l’illuste 9if imaginaire, véritable chouchous des policiers dans la liste des infractions farfelues, ou encore la main invisible d’Adam Smix, celle que l’on sort à tout va, cette main du pardon signifiant conjointement «semhi liya ndouz», «malna yak labass» ou encore « malha tri9 bak» et qui s’agite depuis la fenêtre de la miséricorde.
Si ce code Rousseau qui sent le roussi ne nous réussit donc pas, proposons peut-être un anti-code de la route en tentant d’inverser la vapeur du bared comme certains le font déjà à merveille.

Asmaa El Arabi 


Article publié dans :
La Nouvelle Tribune

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