Tout a commencé par cet appel anodin d’un très cher ami me criant gaiement à travers le combiné qu’il aurait reçu à son domicile une lettre ce lundi 9 septembre 2013 datant du 28 septembre 1989. Cette lettre glissée 24 ans plus tard par la main nonchalante et insouciante d’un postier, arborait encore un timbre en francs et des traces jaunissantes, témoins de sa traversée des âges.
Comme face à un secret d’Histoire, je me retrouve donc à cet instant précis dans l’antichambre entre fascination et absurdité. Bien décidée à percer le mystère de cette affaire, c’est là le début de mon enquête doublée d’une aventure à la Poste de Casablanca.
Si vous vous souvenez de la poste comme étant cette institution fort efficace capable de faire voyager pensées, courriers, colis à travers le monde par les ailes d’un simple timbre : au Maroc, vous vous voilez burqament la face.
Envoyer un courrier par une des nombreuses postes de Casablanca, car quantité n’a jamais promis qualité, peut très vite, et c’est la seule chose qui puisse aller vite dans ces cas là, se transformer en une course poursuite du Saint Graal postal à travers toute la ville.
Il vous paraîtra ainsi fort probable, au premier abord, que la poste au Maroc soit un genre de fusion entre PMU et Services postaux : vous êtes sûr d’envoyer votre courrier, libre à vous de parier maintenant sur sa bonne réception ou sa réception tout court.
De désillusions postales en désillusions, on se rend finalement compte que le recommandé n’est peut être pas si recommandable, que l’accusé de réception sera toujours déclaré coupable, et que l’envoi express est inspiré des fables de la Fontaine où entre le lièvre et la tortue, c’est le reptile qui finit toujours par gagner.
En rentrant à la première poste, trois principaux détails attirent, toujours au sens figuré entendons bien, votre regard inquisiteur, comme dans ces jeux de Télé7jours où vous devez entourer tous les anachronismes de la pièce.
La première, Moul Securiti, un genre de videur de boîte de nuits posté, sans mauvais jeu de mots, à la porte d’entrée, et qui, ayant probablement dû faire rentrer plus de thons que de barracudas une nuit maudite où sa bonne étoile était en RTT, fut donc rétrogradé, sans transition, à la poste.
L’Homme qui pose sur vous ce regard discret mais efficace de scanner dernière génération semble avoir garder quelques séquelles des automatismes de sa vie passée.
Et c’est ce même Charlot, camouflé dans cette poste comme dans un « Où est Charlie», qui vous délivre le ticket portant votre numéro de passage. Vous vous dites alors, naïvement, que vous pourriez vous-même appuyer sur ce bouton qui fait gracieusement glisser ce précieux bout de papier, mais en observant le geste parfait de notre bodygard, tout s’illumine enfin : c’est qu’il sait presser comme personne lui.
À partir de ces modestes observations, trois absurdités remontent alors à la surface de votre esprit noyé dans une mer d’incompréhension que densifient des vagues de questionnements.
Tout d’abord, pourquoi embaucher un homme chargé de la sécurité d’une poste. Y aurait-il un philatéliste, timbré, qui rôderait dans le coin, son livre de collectionneur à la main, et léchant un timbre pour l’y coller de l’autre ? Ou peut-être un adulte particulièrement rancunier qui aurait mal avalé durant son enfance cette histoire du « Facteur n’est pas passé, il ne passera jamais», vécue comme une vicieuse injustice ?
Puis s’ensuit le second mystère qui pointe le bout de son nez en traînant derrière lui un lourd point d’interrogation.
En établissant ce dur et lourd postulat que cet homme de la sécurité ou de sa sécurité, en tout cas pas de la mienne, aurait postulé à la poste par pure nécessité postale, et après avoir fini de prononcer difficilement toutes ces lettres «p», une question continue encore à vous tarauder la conscience : pourquoi prendre un homme aussi maigrichon et aussi facile à craquer qu’un savoureux cornichon ?
S’amorce alors une série de questions inexistentielles sur ces choses qui vous imposent nonchalamment leur existence.
Des gens à qui les numéros ne plaisent pas, un 77 trop redondant, un 13 maudit, un 124 trop banal, un 367 affreusement ennuyeux, un 007 totalement hors contexte et qui laissent donc ces tickets joncher le sol dans une marre d’autre numéros aux abonnés absents.
Quel que soit le numéro qu’on vous délivrera à l’entrée, sachez donc qu’il ne sera qu’un numéro d’emprunt, une couverture, un alias, un clin d’oeil du «Big Barid is watching you» qui vous susurre à l’oreille « Vous Lalla, là bas, petit être frêle et naïf, vous pensez que vous êtes le numéro 245 hein, vous en êtes convaincue yak, ewa belati nchoufou qui de nous deux a raison ».
Enfin, troisième et dernier pilier du kit de survie en milieu hostile et postal : venez avec votre enveloppe. Car faites vous vite à cette fatalité, la poste au Maroc ne vend pas d’enveloppes. Vendre des enveloppes dans une poste ? Quelle idée farfelue ! Et puis quoi encore ? Pourquoi pas des timbres tant que vous y êtes…Enfin, franchement…
Après avoir fait le tour du parc postal casablancais, à la recherche, littérale, de tout ce temps perdu, et après avoir franchi la porte de la dernière étape de notre Pékin Express Postal, on ne peut plus tout à fait qualifier notre pas de confiant et déterminé.
Tant d’idéaux se sont alors déjà effondrés dans nos esprits durant cette balade où il serait plus simple de savoir ce qui fonctionne que ce qui ne fonctionne pas.
Qui sait ce qu’on nous y dira, j’ai cet angoissant pressentiment qu’un des employés me proposera un pigeon voyageur comme offre de la dernière chance pour envoyer mon courrier dont les mots ont fini par dégouliner sur ce papier bristol devenu papier mâché et j’imaginais déjà sa réplique « Pigeon, oulahita mkhayr a khti, number one, numiro wahed».
Avouons tout de même que ce service postal si faillible et si burlesque renferme quelque chose d’humain et d’imparfait qui force en vous le rire et qui dessine sur votre visage un sourire effaçant toute trace de crispation ou de fekssa intériorisée.
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